Ils sont trois et tous les trois nous regardent. Ils sont nous. D’ailleurs, ils viennent sans vergogne au milieu de nous. Maud Narboni danse et attrape les mots avec une impudeur délicieuse tandis que Philippe Journo pousse à l’excès des insultes racistes qui bousculent les fors intérieurs.
Et la frêle Emmanuelle Touly, sous les tremblements fluets des vidéos d’Elise Boual, déroule des syllogismes antisémites tout en laissant son alto chanter des complaintes yiddish ou des couplets mémorables.
Et nous voilà face à nous-mêmes, face à ce que Sartre nous demande de définir : l’antisémite.
En une heure, ce tourbillon philo-introspectif nettoie joliment deux millénaires salis par ce torrent de manie bouc-émissairique.
A mi-chemin entre le Living théâtre et Peter Brook, Danièle Israël et Pierre Humbert (1) proposent audacieusement de « cabaretiser » le texte pamphlétaire de Sartre sur la Question juive (1944). Il fallait oser théâtraliser ce texte très didactique pour aboutir à cette bouleversante introspection collective..
On rit, c’est vrai, parce que les bonnes blagues juives sont toujours très drôles et que Rabbi Jacob nous a appris à aimer la judéité malicieuse. Mais, au fond, la question reste posée : à chacun de nous de savoir pourquoi chaque époque a vu les hommes se servir de l’antisémitisme comme d’un prétexte pour ne pas se regarder en face.
Danièle Israël et Pierre Humbert ont trop d’expérience théâtrale pour s’égarer.
Téméraire, leur pari semble gagné. Leur « spectacle » fonctionne bien et cela restera comme une lumière supplémentaire se reflétant sur le rideau de ce théâtre châtillonnais qui, décidément, éclabousse de ses créations l’univers dramatique.
Michel HUVET